Du bon gouvernement, un miroir des princes par feu Rekkared de Siarr, Université du Royaume
Prologue
Les événements jadis déroulés en Languedoc, à Alais, où le maire Alvinmaker a abusé de son autorité pour octroyer une charte illégitime à la ville d'Alais en dépit d'un sondage défavorable [1], puis à Lodève, où le maire Amor a abusé lui aussi de son autorité pour publier des décrets illicites en dépit de la Loi [2], révèlent qu'un maire, mais pourquoi pas aussi un Comte ou un Duc, peut agir en tyran. Or, il n'existe qu'un rempart contre l'exercice de la tyrannie : l'éducation des princes, à savoir, de ceux qui détiennent, ou auront à détenir, le pouvoir souverain du peuple. Autrement dit, le Duc, le Comte & les maires qui disposent à la fois de la primauté théorique provincial ou municipal - lat. auctoritas - et du pouvoir de gouverner et d'administrer leurs sujets - lat. potestas.
C'est pourquoi l'inculcation des valeurs du bon gouvernement semble plus que nécessaire aujourd'hui afin d'éviter les sources de conflits. Or mon humble condition d'homme quelques peu lettré et mon service auprès du Roy comme Maître de la Librairie royale, m'ont permis de découvrir un trésor de bonnes mœurs : le Livre du chemin de longue estude (1403) de Christine de Pizan (1364-1430) [3]. Sans pouvoir ni vouloir l'égaler, les quelques pages qui vont suivre se voudront être un miroir de ces valeurs dans lequel les princes pourront se mirer à loisir, en somme, un miroir des princes... [4]
Des mœurs que doivent avoir les princes selon les auteurs
Puisqu'il s'agit de discuter de la personne qui mérite l'élection à la charge de maire ou de comte, et puisqu'il convient de l'élire selon la raison, voici quelles qualités, selon les anciens, le prince digne de ce nom doit posséder :
Quelle est la place du prince dans la chose publique ?
Plutarque écrit dans le Livre du corps de policie que la chose publique - lat. res publica - constitue un vrai corps vivant gouverné et tempéré par la raison. Le prince, élu par le peuple, est la tête de ce corps, prompte et prête à gouverner le corps entier, et servant à accorder les sens - conseillers comtaux ou municipaux - qui doivent régir le reste - le peuple du Languedoc ou des cités. Dieu a choisi d'y mettre plus de beauté parce que le visage montre le mieux la beauté parfaite. Et de même que cette partie du corps est faite plus noble, ainsi doit être le prince, le
supérieur et le maître pour un temps - un à deux mois selon les élections - de ses sujets qui doivent lui obéïr. Il doit surpasser tout le monde par la sagesse de sa conduite, la vaillance et la sûreté de ses conseils.
Aristote dit dans son Ethique que les princes authentiques doivent être comme des pères pour ses enfants, ou le berger pour ses brebis.
Ainsi, un prince sage, vaillant, paternaliste et entouré de bons conseillers devrait être à la tête de chaque institution des provinces.
Que le prince doit être vertueux, et faire valoir chacune de ses actions. Saint Augustin le dit au cinquième livre de La Cité de Dieu où il raconte comment les Anciens, qui aimaient la vertu et l'honneur, en firent deux déesses, et érigèrent un temple à chacune. Celui de la Vertu s'emboîtait dans celui de l'Honneur, et y conduisait ; cela signifiait que dans toute action qui vise l'honneur il faut d'abord passer par la vertu.
Que le prince doit donner un bon exemple dans ses actions, ses paroles, et sa façon de penser. Claudien [5] le dit à l'empereur romain Théodose [6]. L'exemple du prince vertueux incite la province à s'amender plus que ne font ses ordres, car le menu peuple et ses autres sujets prennent de la graine de ce qu'ils voient faire, que ce soit en bien ou en mal. S'il est bon, ils s'améliorent, et s'il est mauvais, ils s'appliquent à faire le mal. Pour cette raison, le prince doit être le premier à obéir à ses propres injonctions. Ses sujets le suivront de meilleure volonté ; ils n'oseront pas contredire un prince qui se soumet aux lois qu'il édicte. A ce propos, Sozomène [7] dit que les princes de haut renom, jadis, à la grande époque de la vertu, ne décrétaient rien qu'ils n'accomplissaient de leurs personnes. Ils obéissaient à tous les édits qu'ils émettaient, et ne prenaient pas prétexte de leur supériorité de prince pour s'accorder des avantages.
Que le prince doit être plein de clémence, doux et compatissant, Sénèque l'affirme dans une épître et dit qu'il n'est personne qui doive être plus enclin à la clémence et à la compassion, et moins à la rigueur, que le prince. Dans sa troisième épître il remarque que la cruauté d'un prince engendre les batailles, tandis que sa clémence, partout où elle se répand, fît naître la tranquillité par la voie de l'humilité. C'est la prouesse d'un cœur noble, vaillant, honnête et sage d'être toujours bon et doux dans toutes ses affaires. Il ne convient nullement qu'un prince soit emporté ou colérique, de sorte qu'il soit fermé aux prières qui lui demandent humblement merci.
Il ajoute dans sa quatrième épître que si les dieux, pour leur part, sont assez indulgents pour ne pas foudroyer les hommes malgré leurs nombreux péchés, pourquoi donc les princes, qui ne sont que des humains, ne pardonnent-ils pas facilement aux autres, puisqu'eux-mêmes sont sujets à l'erreur ?
Au cinquième chapitre encore, Sénèque dit que jadis, il était un prince qui tâcha de se venger cruellement de tous ses ennemis ; il mit toute sa peine à les détruire. Ainsi il en abattit plus de vingt, mais il en restait un qui le faisait souffrir car il n'arrivait pas à le détruire par la force. Cela le faisait bouillir de rage. Il prit conseil auprès de sa femme qui lui donna une bonne suggestion. Puisqu'il ne pouvait vaincre son ennemi par la guerre, il devait essayer de l'avoir par la douceur. Ainsi fit-il, et il berça son adversaire d'une si grande gentillesse que l'autre devint son ami ; à tel point, qu'il ne pouvait pas en avoir de meilleur. Plus tard, il fit de lui son héritier.
Que le prince peut agir envers ses sujets selon comment il les perçoit. Avec certains, il faut user de douceur ; avec d'autres, c'est la rigueur qui convient. A ce propos Valère nous parle du noble et magnanime Marcus Marcellus qui, lorsqu'il eut attaqué et pris Syracuse, contempla l'infortune de cette grande et forte cité peuplée, et, saisi de pitié malgré son inimitié, pleura à chaudes larmes devant ce spectacle pitoyable.
Que le prince doit être juste et équitable en toutes circonstances. Il doit légiférer diligemment, préserver le droit et respecter l'ordre. Jadis, dit Valère, tout prince se mettait en tête de faire appliquer la loi dans sa vérité. Il en donne un exemple des temps anciens : un grand roi nommé Zaleucus se fît crever un œil et à son fils, un autre, parce que son fils, ayant enfreint la loi, devait en conséquence perdre deux yeux. Le roi préféra sacrifier l'un de ses propres yeux afin que son fils, qui devait régner après lui, pût gouverner avec un œil au moins. Le roi satisfit ainsi à l'exigence de la loi de crever deux yeux à son fils.
On raconte d'Alexandre qu'il se trouva une fois en désaccord avec ses chevaliers. Lui, qui aimait fermement la justice, soumit la cause au jugement et quand on jugea à la fin qu'Alexandre avait tort, il remercia de bonne grâce ceux qui avaient fait leur devoir en décidant selon les mérites du cas. Son geste montra qu'il estimait la justice plus que la puissance.
Que le vrai prince est celui qui garantit la justice et pèse la raison avec soin. A ce sujet, Aristote remarque très justement dans son Ethique, que ce n'est pas le prince qui doit dominer, mais la raison. Cicéron, dans Des offices, fait aussi une remarque heureuse en affirmant que le prince doit toujours être un vrai défenseur de la justice qui protège la chose publique et veille sur le bien commun.
Que le prince doit être sage, savant, généreux, plein d'honneur et de sapience, irréprochable en somme. Aulu-Gele témoigne dans le même sens, disant que la tâche essentielle et le plus digne de mémoire du règne de Philippe de Macédoine, c'est depuis un fait notoire, fut qu'il fît apprendre l'art de la science à son fils Alexandre, qui devait lui succéder. Quand Philippe, qui tenait beaucoup à l'instruction de son fils, vit que l'enfant était né, il prit un messager et l'envoya chez Aristote avec toute une épître, où il dit sa grande joie de ce que les dieux lui avaient donné un fils, mais aussi sa grande joie, dix fois plus grande, que cette naissance ait eut lieu de son temps. Car Philippe espérait vivement qu'Aristote deviendrait le maître de son fils et lui apprendrait la science et la modération ; l'enfant en tirerait le plus grand bien.
Que le prince doit être plein de génerosité et de libéralité. Sénèque écrit à ce sujet dans son livre De la Clémence, que le prince qui accorde les biens d'autrui n'est pas libéral ; la vraie générosité consiste à restreindre ses propres dépenses afin de pouvoir donner aux autres.
Que le prince doit se montrer fiable, familier et agréable avec ses gens, quel que soit leur rang. Solin [8], dans sa Collection des choses mémorables, dit que Jules César était si aimable et amical avec tous les gens qu'il rencontrait, que même ceux qu'il avait vaincus par la force des armes, étaient sensibles à la bonté qui le faisait universellement aimer.
Que le prince doit montrer de la modération, la patience et la sage conduite de sa vie. Sénèque dit au premier livre De la Clémence, que le prince ne peut parler sans qu'il soit entendu, ni se mettre en colère sans que ne soit vue sa violence. Comme il est observé de tous, comme il ne peut tant se cacher, que les yeux de chacun ne le regardent, lui, unique en son genre, doit se garder soigneusement d'avoir le moindre mouvement d'humeur qui l'écarte de la raison et affecte sa façon d'être.
Epilogue
Si je ne risquais pas d'ennuyer, je pourrais citer d'autres exemples des mœurs que les princes doivent avoir s'ils veulent recevoir les lauriers de la couronne d'honneur, qu'ils soient nobles ou d'un rang inférieur du moment qu'ils recherchent la gloire de la noblesse.
Beaux doux princes, présents et à venir, à qui je dédie ces quelques lignes, vous savez sans que je le dise, que l'on doit élire un prince rempli de grandes vertus quitte à ce que, de nos jours, il soit moins preux qu'Arthur. Faites donc en sorte que vos Conseils municipaux ou comtaux, où règnent la justice et l'équité, soit à tout jamais loués pour leur choix.
A présent, il est temps que je me taise.
_________________
[1] Cf. Procès ayant opposé Alvinmaker au Comté du Languedoc accessible après connexion au jeu IG.
[2] Cf. Procès ayant opposé Amor au Comté du Languedoc accessible après connexion au jeu IG.
[3] PIZAN Christine, Le chemin de longue étude, (éd. critique du ms. Harley 4431, trad., présent. et notes par Andrea Tarnowski ; texte en français ancien et trad. en français moderne en regard), "Lettres gothiques - le Livre de poche", Librairie générale française, Paris, 2000, 476 p.
[4] Un miroir des princes est une locution générique désignant un traité destiné à l'éducation des princes, comme le Via regia de Smaragde, abbé de Saint-Mihiel sur la Meuse, adressé à Louis le Pieux (IXe s.), le De bono regimine principis d'Hélinand de Froimont pour Philippe Auguste (XIIIe s.), ou celui cité plus haut de Christine de Pizan qu'elle destinait à Charles VI.
[5] Claudien (Claudius Claudianus, v. 370-V. 404 ap. notre ère) est un poète latin.
[6] Théodose Ier le Grand (Flavius Theodosius, v. 346-395 ap. notre ère) est empereur romain de 379 à 395.
[7]Sozomène (Salamanes Hermeias Sozomenus) est un historien ecclesiastique
byzantin du Ve siècle ap. notre ère. Il a dédié son œuvre à l'empereur Théodose II (401-450).
[8] Solin (Gaius Julius Solinus, IIIe s. ap. notre ère), est l'auteur du Collectanea rerum memorabilium (collection des choses mémorables) compilation géographique accompagnée d'un commentaire sur les origines, l'histoire et les coutumes des différents pays du monde.